Chronotopies

(2007)

series of 19 colour photographs
original Polaroids + 15x15,2 cm archival pigment prints on Hahnemuhle Fine Art Pearl paper,
framed in boxes, white marie-louise, anti-UV and anti-reflective glass

edition of 5 + 2 A.P.

Every photograph makes a formatting of time; this formatting is not a way of reproducing an objective temporality but rather a unique way, for time, of temporalization. I propose to call 'chronotopia' the result of this temporalization which is both a setting in space. A neologism formed by the Greek terms chronos [time] and topos [space], this formula can be read in both directions, namely as "becoming-space of time" as well as "becoming-time of space".
This series of photographs, made with a Polaroid SX-70 camera, is a reflection on the spatio-temporal nature of any photographic recording as well as on the inevitably random and ephemeral nature of things.

Toute photographie réalise une mise en forme du temps ; cette mise en forme n’est pas une manière de reproduire une temporalité objective mais plutôt une manière unique, pour le temps, de se temporaliser. Je propose d’appeler chronotopie le résultat de cette temporalisation qui est à la fois une mise en espace. Néologisme formé par les termes grecs chronos [temps] et topos [espace], cette formule peut être lue dans les deux sens, à savoir comme “devenir-espace du temps” aussi bien que comme “devenir-temps de l’espace”.
Cette série de photographies, réalisée avec un appareil Polaroid SX-70, se veut une réflexion sur la nature spatio-temporelle de tout enregistrement photographique ainsi que sur le caractère inévitablement aléatoire et éphémère des choses.

Three orginal polaroids

Cronotopie, Postcart / Trans Photographic Press, 2010

Hardcover book, 48 pages, 21 colour photographs
Texts by Marco Barbon and Alain Jouffroy

Alea jacta est

par Alain Jouffroy

 

L’éphémère n’a pas de prix. C’est le durable, le persistant qui en a un. Celui qui expose l’éphémère à la vue, dans cette nuit illuminée qu’on appelle le jour, prend le risque de se fondre physiquement dans l’éphémère, quitte à s’y perdre. Marco Barbon a pris ce risque, en consacrant son œuvre à tout ce qui peut s’évanouir à tout instant et disparaître on ne sait où. Avec des plumes d’oiseau, avec des balles, des boules, il saisit l’instant où les objets se mettent à bondir, à rebondir, à dessiner des formes aléatoires dans l’espace. Les plumes volent et tourbillonnent, les boules colorées d’arc-en-ciel y figurent en état de lévitation. Il s’agit de poèmes-photos, de Haïkus photographiques, où les boules remplacent le saut de la grenouille de Bashô, suggèrent et glorifient l’éphémère.
En utilisant le procédé du polaroïd, d’abord, il choisit la voie la plus aléatoire. En refusant de re-photographier ses vues de balles bondissantes sur papier argentique, ou par un appareil numérique, il s’installe délibérément dans le provisoire. Peu d’instants lui suffisent, quelques secondes seulement, comme si le secret de la vie se dissimulait dans le furtif : l’aléa pur du saut dans l’insaisissable.
Curieux artiste, qui semble vouloir se dérober à tout jugement sur un travail qui lui échappe en grande partie. Cela mérite réflexion et suscite la méditation, plutôt que l’analyse.
On finit par en conclure, en le méditant, que Marco Barbon ne souhaite pas être « fixé » lui-même par quiconque, comme on ne peut simultanément saisir la position d’un point dans l’espace et son mouvement dans le même espace : ce qu’on appelle en physique le principe d’incertitude d’Heisenberg – ou, tout simplement, l’incalculable.
Ainsi en vient-on à croire que son œuvre répond à une connaissance philosophique approfondie. Et, en effet, l’auteur des Chronotopies dispose d’un vrai savoir philosophique, qui va de la culture occidentale la plus ancienne à la culture extrême-orientale non moins ancienne : de Zénon d’Elée au Zen. Du microcosme au macrocosme et du zéro à l’infini.
Une telle aventure est si singulière que nul ne saurait prévoir jusqu’où pourrait aller ce migrateur de l’imprévisible.
Marco Barbon? Un maître de la Chance.
Mais aussi, bien autre chose. On repère vite en effet, dans cette œuvre apparemment très modeste, et très secrète, un lointain écho du surréalisme, et pas seulement celui de Giorgio de Chirico, mais d’Yves Tanguy, de leurs ombres de statues sur les places, de celles de personnages imaginaires sur des plages sans horizon. Mais, contrairement aux œuvres de ces deux peintres, il s’agit d’une atmosphère surréelle diffuse à l’intérieur d’espaces hermétiquement clos.
De vitrines, en quelque sorte, qui exposent des surprises et des énigmes. Des interrogations (des objets interrogatifs), plutôt que des réponses à des questions lourdes et prétentieuses.
Interrogations mystérieuses, plutôt qu’inquiétantes. Pas de Muses inquiétantes, mais de minuscules barricades mystérieuses, comme les poèmes d’Olivier Larronde. Toutes en douceur, en parfaite sérénité, et même apaisantes, loin de toute idée de guerre et d’agressivité. Aucun esprit de violence révolutionnaire, aucune allusion à des tragédies quelconques. Ou alors : Marco Barbon les met consciemment entre parenthèses. De l’humour latent, mais pas d’humour noir, ni grinçant. Un sourire aux lèvres, comme le visage d’Hermès.
Un univers en suspens, en apesanteur en quelque sorte. On songe parfois à des cerfs-volants d’une autre espèce, des cerfs-volants sans fil.
Mais on y entend aussi de la musique. Une musique aussi singulière que celle d’Erik Satie : celui des Gymnopédies et des Gnosiennes, le maître musical de l’humour.
Comment définir un tel esprit? J’oserai utiliser le néologisme Volatilisme. Marco Barbon, dans ses polaroïds, volatilise presque tout : le temps (celui qui court depuis toujours), l’espace (public), et même l’énigme, puisqu’il la transforme en évidence manifeste. Rimbaud voulait fixer des vertiges. Marco Barbon fixe des questions sans réponse.

Alain Jouffroy, janvier 2010

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