Les pas perdus

(2011)

series of 31 colour photographs
13x18 cm archival pigment prints on Hahnemuhle Fine Art Pearl paper, laminated on dibon and framed

edition of 6 + 2 A.P.

This is happening across the Mediterranean Sea, but it could also happen here. We are in Tangier, place of all departures, a border town between the South and the North of the world. It is a border crossing both those who want to cross the strait to reach Europe and those who return to the country to find their loved ones. Both of them no longer feel at home, neither here in their country of origin nor in the towns, villages or suburbs which took them in on the other side of the sea. Here as there the same feeling of alienation, of exclusion, a deep and inextinguishable wound: the loss of a country.
« O how the countries are alike, as the exiles are alike … » - writes the Moroccan poet Abdellatif Laâbi, himself for a long time orphan of his own country. The poet's words echo in my head as I walk the streets of this city blessed by light.
Before my eyes, in the viewfinder of my camera, images are imposed, like fragments of a film. I am on a vacant lot on the outskirts of the medina, my gaze overlooks the port. This free zone which no longer belongs to the city, which is already an elsewhere: a here which is already there. Places, civilizations merge. There is no indication that we are in North Africa. This jetty, these panels, this soil strewn with rubbish, these solitary presences, one could find them just as well in any port in Southern Europe: Marseilles, Genoa, Patras, Brindisi ... Individuals - men, women, children - walking towards the docks, towards the pier, towards the customs offices. Others who simply cross, heading towards the other side of the coast, beyond the pier. Still others who stop in this sun-drenched and windswept no-man's land. Some unexpected or secret meetings. Shadows grow longer as the sun lazily sets in the west of the world. Below, the sky, an immutable hunting ground for clouds. The photographic eye takes in the measure of this wandering, this loneliness, this dazzling light ... « ... your steps are not those steps that leave traces on the sand … ». 

In the field of the camera, transformed into a surveillance camera, humans end up losing their identity to become pawns on the vast chessboard of the world, uneventful presences destined to be forgotten ... « you pass without passing ». This is the fate of the exiles.
The road back is endless.

Cela se passe de l’autre côté de la Mer Méditerranée, mais cela pourrait se passer également ici. Nous sommes à Tanger, lieu de tous les départs, ville-frontière entre le Sud et le Nord du monde. Frontière par la quelle transitent aussi bien ceux qui veulent passer de l’autre côté du détroit pour gagner l’Europe que ceux qui reviennent au pays, pour retrouver leurs proches. Les uns comme les autres ne se sentent plus chez eux, ni ici dans leur pays d’origine ni dans les villes, les villages ou les banlieues qui les ont recueillis de l’autre côté de la mer. Ici comme là-bas la même sensation d’aliénation, d’exclusion, une blessure profonde et inextinguible : la perte d’un pays.

«O comme se ressemblent les pays, comme se ressemblent les exils…» - écrit le poète marocain Abdellatif Laâbi, lui même depuis longtemps orphelin de son propre pays. Les mots du poète résonnent dans ma tête lorsque j’arpente les rues de cette ville bénie par la lumière. Sous mes yeux, dans le viseur de mon appareil photo, des images s’imposent, telles les fragments d’un film.

Je suis sur un terrain vague aux abords de la médina, mon regard surplombe le port. Cette zone franche qui n’appartient plus à la ville, qui est déjà un ailleurs : un ici qui est déjà là-bas. Les lieux, les civilisations se confondent. Aucun indice ne permet de dire que nous sommes en Afrique du Nord. Cette jetée, ces panneaux, ce sol jonché de détritus, ces présences solitaires on pourrait les retrouver aussi bien dans n’importe quel port de l’Europe du Sud : Marseille, Gênes, Patras, Brindisi…
Des individus – hommes, femmes, enfants - qui se dirigent vers les quais, vers l’embarcadère, vers les bureaux de la douane. D’autres qui traversent, simplement, se dirigeant vers l’autre versant de la côte, au-delà du môle. D’autres encore qui s’arrêtent dans ce no man’s land baigné par le soleil et balayé par le vent. Quelques rendez-vous inattendus ou secrets. Les ombres s’allongent au fur et à mesure que le soleil se couche paresseusement à l’Ouest du monde. Au dessous, le ciel, immuable terrain de chasse des nuages.
L’œil photographique prend la mesure de ce vagabondage, de cette solitude, de cette lumière éblouissante…

« …tes pas ne sont pas de ces pas qui laissent des traces sur le sable… »

Dans le champ de l’appareil photo, transformé en caméra de surveillance, les humains finissent par perdre leur identité pour devenir des pions sur le vaste échiquier du monde, des présences sans histoire destinées à l’oubli … « tu passes sans passer »… C’est le destin des exilés.
Le chemin du retour est sans fin.

Galerie Le Magasin des Jouets, Arles

curator : Nicolas Havette
du 7 mars au 13 avril 2014

Les pas perdus, Porsuite, 2011

Hardcover book, 31 colour photographs, 64 pages
Photographs and texts by Marco Barbon

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